La transformation numérique des organisations: menace ou opportunité pour le gestionnaire?
Environ 3 milliards de personnes utilisent aujourd’hui le numérique en mode connecté à travers l’Internet. Et en 2020, ce nombre devrait atteindre 4 milliards alors que le nombre prévu d’objets connectés numériquement à travers l’Internet devrait dépasser 30 milliards[1]. Pourquoi s’en préoccuper et quel impact a-t-il sur les organisations? En quoi cela affecte-t-il le[2] gestionnaire et comment peut-il agir? Survol des enjeux.
La transformation numérique des organisations
L’ampleur du numérique dépasse nettement le domaine spécialisé de l’informatique. Ce fut au début du 21e siècle que ce phénomène est devenu sociétal. En effet, avec le déploiement grandissant du téléphone intelligent et des tablettes mobiles sans-fil, le commun des mortels perçoit et vit dorénavant cette montée en puissance du numérique. D’abord, dans son rôle de consommateur, que ce soit pour la musique, les livres, les journaux, les transactions bancaires et autres objets facilement achetables en ligne. Ensuite, dans son rôle de communicateur, que ce soit par le courriel personnel ou pour le clavardage ou la consultation de vidéos grâce aux nouveaux réseaux sociaux qui pullulent et qu’utilisent plus de 7 adultes sur 10 dans une société développée comme le Québec[3].
Les organisations, quant à elles, utilisent l’informatique de gestion depuis plus de quarante ans. Ce n’est toutefois depuis une quinzaine d’années que le numérique pénètre les organisations. Le degré de pénétration et d’intensité numériques varie grandement selon les secteurs économiques, les plus avancés étant ceux des médias et des technologies[4]. La pénétration du numérique diffère aussi selon le pays, en fonction de la structure économique et avec une incidence sur la création ou la destruction d’emplois[5].
La pénétration du numérique dans les secteurs avancés n’est pas étrangère au phénomène sociétal mentionné plus haut. Particulièrement, l’on a qu’à considérer Amazon qui a débuté en affaires avec les livres en 1994 et qui a lancé sa liseuse Kindle en 2007; ou Apple qui a lancé l’application iTunes pour la musique en 2001; et enfin le journal La Presse qui a lancé l’édition numérique La Presse+ en 2013 au Québec.
Par ailleurs, au-delà des avancées technologiques grâce au numérique, les modèles d’affaires traditionnels sont de plus en plus bousculés par l’innovation de rupture. Par exemple, La Presse+ est offerte gratuitement aux abonnés dont le nombre est en croissance; l’édition papier disparaîtra complètement à la fin de 2017. Dans le secteur de la musique, iTunes et plus récemment l’écoute en continu ont significativement diminué la distribution traditionnelle sur supports physiques[6]. Dans le secteur du transport, l’arrivée d’Uber en 2009 a d’abord ébranlé l’industrie du taxi; le concept de mise en contact d’utilisateurs avec des conducteurs par applications mobiles pour des services de transport de personnes est maintenant étendu à des services de transport de biens et même à d’autres secteurs économiques, entraînant la généralisation du principe d’ubérisation[7]. La voiture autonome n’est plus une utopie; on peut imaginer l’impact économique et sociétal qu’auront les millions de voitures autonomes prévues en circulation durant la prochaine décennie[8].
Étant donnée l’avancée du numérique depuis plus d’une décennie, il n’est pas surprenant que la majorité des grandes organisations s’en préoccupent au niveau le plus élevé, celui de la stratégie[9]. Depuis, les concepts de stratégie numérique et de maturité numérique font l’objet de recherches universitaires[10] et de mise en oeuvre[11] au sein des grandes organisations. Selon le secteur, le pays et l’organisation, les types de stratégies[12] vont de « ne rien faire » à la transformation substantielle du modèle d’affaires par le numérique[13]. Au sein des organisations, le travail lui-même, les relations avec les clients et les fournisseurs ainsi que les processus de gestion des talents font de plus en plus l’objet de remises en question, sinon de bouleversements[14].
Le gestionnaire et sa posture face au numérique
Prenons le cas d’un gestionnaire intermédiaire au sein d’une grande organisation oeuvrant dans un pays à économie avancée. L’hypothèse est que ce gestionnaire perçoit nettement l’avancée du numérique dans la société où il vit. Comment appréhende-t-il le numérique au sein de son organisation? Selon les facteurs décrits plus haut, le numérique peut être considéré comme opportunité, menace ou enjeu de faible importance. Même si son rôle n’est pas de formuler la stratégie de l’organisation, les responsabilités générales de gestion qui lui incombent présentent des options quant au numérique sur lesquelles il peut exercer des choix, l’un de ces choix étant naturellement de ne rien faire et d’attendre des directives provenant de la haute direction.
Le modèle de Mintzberg sur les 10 rôles du gestionnaire[15]fournit un cadre utile pour examiner en quoi le numérique peut impacter et affecter un gestionnaire.
La gestion des informations
Dans la sphère de la gestion des informations, deux rôles sont d’intérêt. Dans le rôle d’observateur, le gestionnaire est responsable de rechercher les informations sur des changements pertinents dans son environnement de travail, interne et externe. Avec le rôle de propagateur, le gestionnaire a comme responsabilité de communiquer l’information utile aux membres de son équipe et à ses collègues.
La gestion des relations interpersonnelles
Quant à la sphère de la gestion des relations interpersonnelles, deux rôles sont à considérer. Le rôle de figure de proue implique que l’on attend d’un gestionnaire une attitude exemplaire. Dans le rôle de leader, le gestionnaire utilise l’écoute et l’intelligence émotionnelle afin de bien comprendre les attentes et les préoccupations de ses collaborateurs et de les guider vers une vision commune meilleure.
La prise de décision
Enfin dans la sphère de la décision, trois rôles entrent en jeu. Dans le rôle d’entrepreneur, le gestionnaire est responsable de créer et de contrôler le changement dans son organisation; ce qui l’amène à résoudre des problèmes et à générer et implanter de nouvelles idées. Avec le rôle de médiateur et d’arbitre, le gestionnaire est appelé à gérer des conflits au sein de son équipe et à mitiger les risques. Le rôle d’allocateur de ressources demande au gestionnaire d’optimiser les ressources financières, humaines et matérielles de son équipe.
La gestion de soi
Selon mon expérience de coach, il convient de compléter ce modèle avec la prise en compte de la gestion de soi du gestionnaire relativement au numérique. Voici quelques questions utiles que je suggère afin que le gestionnaire amorce sa réflexion professionnelle :
Mon niveau de connaissance du numérique est-il suffisant?
Mon poste sera-t-il impacté par le numérique d’ici 3 ans?
Comment est-ce que je réagis professionnellement face au numérique? Qu’est-ce que je ressens?
Quelles ressources puis-je mobiliser afin de mieux me préparer face à la montée en puissance du numérique dans mon poste?
Pour ce qui est des sept rôles soulignés plus haut, j’invite le gestionnaire à faire un choix parmi les options suivantes (par-delà celle de ne rien faire) afin de bien appréhender le numérique.
- Sensibiliser lui-même son équipe au phénomène numérique et constater les réactions.
- Faire participer les membres de son équipe à l’établissement d’un état de question et à la mise en œuvre de pistes d’action.
- Mener une démarche plus structurée impliquant aussi des collègues et des membres de la haute direction de son organisation.
Étant donné la puissance et le caractère irréversible du numérique, le gestionnaire a intérêt à mieux connaître le phénomène et son impact sur son organisation et à amorcer une réflexion qui l’amènerait à des pistes d’action éclairée. L’état d’esprit qu’il adoptera face à ces enjeux déterminera son ouverture aux menaces et aux opportunités et à leurs conséquences.
Jacques Gaumond, ACC, M.Sc.A., Acc.Dir.
Coach d’affaires professionnel chez Océan Coaching
[1] Boston Consulting Group, March 2015 https://www.bcgperspectives.com/content/articles/telecommunications_public_sector_infrastructure_needs_digital_economy/
[2] Le masculin est utilisé pour alléger le texte, et ce, sans préjudice pour le genre féminin ou autre.
[3]Cefrio juin 2014 http://www.cefrio.qc.ca/netendances/medias-sociaux-coeur-quebecois/
[4] McKinsey Quarterly February 2017 http://www.mckinsey.com/business-functions/digital-mckinsey/our-insights/the-case-for-digital-reinvention
[5] World Economic Forum 2013 http://www3.weforum.org/docs/GITR/2013/GITR_Chapter1.2_2013.pdf
[6]Cefrio mai 2017 http://www.cefrio.qc.ca/netendances/le-divertissement-en-ligne-au-quebec/
[7]https://fr.wikipedia.org/wiki/Uber_%28entreprise%29
[8] Intel IQ August 2016 https://iq.intel.com/autonomous-cars-road-ahead/
[9]Forrester 2016 https://www.forrester.com/report/The+Digital+Maturity+Model+40/-/E-RES131801
[10] Dartmouth College 2017 http://digitalstrategies.tuck.dartmouth.edu/wp-content/uploads/2016/10/The_Digital_Enterprise_-_Overview.pdf
[11] McKinsey 2017 http://www.mckinsey.com/business-functions/digital-mckinsey/our-insights/the-next-generation-operating-model-for-the-digital-world
[12] McKinsey 2014 http://www.mckinsey.com/business-functions/strategy-and-corporate-finance/our-insights/strategic-principles-for-competing-in-the-digital-age
[13] McKinsey 2016 http://www.mckinsey.com/business-functions/strategy-and-corporate-finance/our-insights/an-incumbents-guide-to-digital-disruption
[14] Deloitte 2017 https://www2.deloitte.com/us/en/pages/human-capital/articles/introduction-human-capital-trends.html
[15] MindTools 2017 https://www.mindtools.com/pages/article/management-roles.htm